Vous êtes ici : Accueil > Actualités > Le retrait d’un permis de construire : de l'intérêt de maîtriser le timing

Le retrait d’un permis de construire : de l'intérêt de maîtriser le timing

Le 14 novembre 2019

Un récent arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux est l’occasion de rappeler la procédure spécifique liée à un retrait de permis de construire et la nécessité de respecter cette dernière. En l’espèce, le bénéficiaire du permis a appris à ses dépens que la maîtrise de la procédure conditionne bien souvent l’issue d’un dossier.


La question du retrait des actes administratifs individuels créateurs de droits a été longuement développée et commentée en jurisprudence. Une fois n’est pas coutume, le droit de l’urbanisme et notamment de l’urbanisme opérationnel est dérogatoire du droit commun.


Pour rappel, classiquement on considère que l’administration ne peut procéder au retrait d’un acte individuel créateur de droits que dans les quatre mois suivant sa notification (voir CE, ass. 26 octobre 2001, Ternon, n°197018 désormais codifié à l’article L242-1 du code des relations entre le public et l’administration [CRPA]).


La jurisprudence Ternon précitée avait en effet rappelé que ce principe trouve toujours à s’appliquer sauf en deux hypothèses (en excluant celui de la fraude), en cas de demande du bénéficiaire de la décision (auquel cas le retrait est possible sans délai) et si un texte contraire existe.


C’est précisément le cas des permis de construire.


En effet, l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme précise notamment que le retrait des permis (de construire, démolir et d’aménager) et des déclarations préalables de travaux n’est possible que si la décision est illégale d’une part et que ce retrait est effectué dans un délai de trois mois suivant la notification de la décision d’autre part.


Or, on le sait, l’instruction des demandes de permis de construire est encadrée par le code de l’urbanisme. Ce délai est classiquement de deux mois pour la construction d’une maison individuelle et de trois mois pour les autres projets, dès lors que des délais complémentaires ou spécifiques ne viennent pas modifier ce dernier (exemple projet soumis à ABF, ERP, etc.).


L’administration n’a parfois pas eu le temps de traiter une demande dans les délais légaux et réglementaires si bien que le pétitionnaire se trouve, en application de l’article R.424-1 du code de l’urbanisme, titulaire d’un permis tacite.


Le retrait de ce permis tacite est soumis à la même procédure que celui d’un permis délivré expressément par l’administration.


En l’espèce, et dans l’arrêt commenté, un permis de construire avait été délivré, de manière expresse, puis retiré à la suite d’un recours du Préfet.


L’intéressée outre avoir soutenu qu’elle était titulaire d’un permis tacite avait également contesté la procédure de retrait de son permis.


La Cour a tout d’abord rappelé qu’en application des dispositions des articles L. 121-1 et -2 et de l’article L. 122-1 du CRPA, le retrait d’une décision individuelle créatrice de droit n’est possible qu’après l’engagement d’une procédure contradictoire préalable.


Concrètement l’administration doit informer le bénéficiaire de la décision litigieuse de sa volonté de retirer cette dernière en indiquant les motifs qui fondent le retrait.


Elle doit également indiquer à l’intéressé qu’il est susceptible de se faire assister par la personne de son choix et qu’il peut former des observations écrites ou orales.


Elle doit également lui accorder un délai suffisant pour former d’éventuelles observations.


Traditionnellement, la jurisprudence considère qu’un délai de 15 jours est suffisant mais nécessaire.


Indiquons enfin que le respect de cette procédure constitue une garantie pour le titulaire du permis, si bien que le non-respect de cette dernière entache d’illégalité la décision de retrait de permis de construire (voir CE, 30 décembre 2015, n°383264).


Le respect de ce délai implique dont dans la pratique que la Commune ne dispose que d’un délai maximal de deux mois et demis et non de trois mois pour retirer un permis de construire.


Lorsque le retrait est fondé sur le recours d’un tiers, comme c’est le cas dans l’espèce commenté, le délai écoulé entre la délivrance du permis ou la naissance d’un permis tacite, et la réception du recours gracieux vient encore réduire d’autant le délai dont dispose la Commune pour envisager un retrait.


Parfois, ce dernier est impossible ou du moins fragile juridiquement lorsque le délai de trois mois prévu par le code est presque expiré.
En l’espèce, le permis avait été délivré par arrêt en date du 19 décembre 2014. Le Maire a informé l’intéressé de son intention de retirer ce permis par courrier en date du 4 mars 2015 (porté à sa connaissance par voie d’agent de police municipale le 11 mars suivant).


Le courrier en cause prévoyait un délai de réponse jusqu’au 13 mars 2015.


Ce délai paraît anormalement court au regard de la jurisprudence traditionnelle en la matière et aurait raisonnablement pu conduire à une annulation contentieuse.


Néanmoins, plutôt que d’attendre que l’arrêté de retrait de permis lui soit notifié et de former une contestation en ce sens, l’intéressée a formé des observations écrites par la voie de son conseil dans les deux jours restants.


Elle a ensuite transmis une demande d’entretien pour former des observations orales, néanmoins cette demande est intervenue après l’expiration du délai accordé par la Commune, et sans que sa demande ne soit suffisamment précise l’urgence de réaliser une rencontre.


Contre toute attente, la Cour a estimé que l’intéressée n’avait pas été privée de garantie en ce qu’elle ne démontrait pas ne pas avoir été reçue en entretien et qu’elle avait pu faire valoir les éléments de faits et de droits par lesquels elle s’opposait au retrait de son permis.


La célérité de l’intéressée d’inscrire sa réponse dans le délai accordé par la Commune semble avoir été à l’origine du rejet de son moyen. Il convient en effet bien souvent de distinguer célérité et précipitation.


La contestation de l’arrêté de retrait de permis aurait en principe donné lieu à une annulation contentieuse.


En couplant sa demande d’annulation à un éventuel référé suspension, l’intéressée aurait pu rapidement obtenir satisfaction.


En conclusion, si la maitrise de la procédure de retrait d’un permis de construire constitue une exigence pour la Commune, le bénéficiaire du permis doit (ou ses éventuels conseils) pouvoir suffisamment la maîtriser pour pouvoir se prévaloir, efficacement et en temps utile, de l’éventuelle méconnaissance de cette procédure par l’administration.


Références : CAA Bordeaux, 17 octobre 2019, n°17BX01917 ; CE, ass. 26 octobre 2001, Ternon, n°197018